Tirages instantanés, uniques.
L’emblématique appareil Polaroid Studio Express, qui délivrait les planches de portraits pour passeports, est détourné ici dans le but de questionner LES identités.
L’identité de l’individu est, en psychologie sociale, la reconnaissance de ce qu’il est, par les autres mais aussi par lui-même. Cette notion se situe à la croisée de la sociologie, l’anthropologie, la biologie, la philosophie et de la géographie.
Les tirages instantanés ont été réalisés avec le film FP100 aujourd’hui quasi introuvable et toujours en état périmé car la production a été arrêtée il y a déjà plusieurs années. Les clichés se retrouvent ainsi consignés sur un matériau disparu et au rendu aléatoire ; appuyant par-là l’idée de la fragilité et de la volatilité des identités.
La volonté de faire apparaître l’entièreté du corps s’est manifestée très tôt dans l’histoire du nu photographique. Le point de vue de l’objectif étant unique et donc sélectif, tous les moyens étaient bons pour élargir la visibilité et approcher une identité globale du sujet, une essence charnelle à la hauteur de la violence du désir voyeur. Des procédés classiques, faisant référence à la peinture, présentaient plusieurs nus côte à côte, renouvelant à cette occasion le thème des trois Grâces ; d’autres plus originaux consistaient à multiplier les points de vue à l’aide de miroirs inclinés ou de rivières champêtres parfois confectionnées en studio.
La série Identité(s) de Dominique Wildermann réveille ce contexte historique en ajustant dans un même cadre plusieurs points de vue différents sur un même modèle. Sur le plan technique, elle utilise le Polaroid Studio Express, appareil doté de quatre objectifs, destiné jadis à délivrer des planches de photos d’identité. Pour l’appliquer au nu, elle modifie le réglage de simultanéité des prises de vues et réalise quatre images singulières du même sujet. Il en résulte de petits tableaux photographiques, en exemplaires uniques, dans lesquels les corps sont reconstitués à la guise de l’artiste.
La refonte des corps en éléments morcelés va à l’encontre de l’unité formelle que la photographie de nu cherche habituellement à mettre en évidence : un visage peut être vu de face et de profil, des jambes, des bras se présentent sous des angles inégaux et l’on chercherait en vain à reconstruire une continuité anatomique dans cette apparence de puzzle que propose la croisée des quatre prises de vue en une seule image. La somme des parties n’est pas ici équivalente à ce « tout » qu’on appelle le nu.
Pour autant Dominique Wildermann n’opère pas une dislocation des corps. Les parties qu’elle en sélectionne sont en multi-location, liées entre elles par une harmonie étrange et réunies par des signes d’appartenance à une même totalité, moins physique que psychique. L’usage de la photographie ne consiste alors qu’à prélever des fragments révélateurs d’une personnalité, de saisir les emplacements où la vie semble avoir imprimé de façon récurrente les marques de son périple – une écriture de soi.
Voilà pourquoi, au-delà d’une interrogation sur la notion de genre à laquelle nous invitent la particularité des modèles autant que leur recomposition photographique, cette série nous plonge, par de simples effets de surface, dans la profondeur d’une identité intime, étrangère à la saisie anthropométrique à laquelle l’appareil photographique était initialement voué. Identité(S) a finalement peu de chose à voir avec le nu, son projet vise l’âme plutôt que le corps et participe ainsi de la dimension essentiellement psychologique que Nadar assignait à la photographie.
Robert PUJADE
Agrégé de philosophie, Maître de conférence en esthétique,
Critique et historien de la photographie
Instant and unique prints.
The iconic Polaroid Studio Express camera, which delivered the passport portraits’ boards, is diverted here to question the identitiES.
The identity of the individual is, in social psychology, the recognition of what he is, by others but also by himself. This notion is at the crossroads of sociology, anthropology, biology, philosophy and geography.
The instantaneous prints were made with the FP100 film which is now almost nowhere to be found. Because the production was stopped several years ago, the films are in outdated condition. As a consequence the clichés are recorded on a material that is disappeared and has been rendered randomly; thus supporting the idea of the fragility and volatility of identities.
The desire to reveal the body in its entirety appeared very early in the history of nude photography. The lens’ point of view being unique and therefore selective, any means were taken in order to enlarge visibility and to approach a global identity of the subject, a carnal essence on par with the violence of voyeuristic desire. Conventional methods, referring to painting, presented several nudes side by side, renewing on this occasion the three Graces; more original methods consisted in multiplying the points of view using tilted mirrors or rural rivers sometimes crafted in the studio.
The Identity(ies) series by Dominique Wildermann awakens this historical context by adjusting in the same frame several different points of view on the same model. Technically, she uses the Polaroid Studio Express, a camera with four lenses, formerly intended to issue passport photos. In order to apply it to nude photography, she modified the simultaneity settings of the shots and achieves four singular images of the same subject. The result is small photographic tableaux, in single copies, in which the bodies are pieced together at the artist’s whim.
The redesign of fragmented body elements goes against the formal unity which nude photography usually seeks to highlight: a face can be seen from the front and in profile, legs, arms appear at angles uneven and we seek in vain to reconstruct anatomical continuity in this apparent puzzle that cross features four shots into a single image. The sum of the parts is not here equivalent to this « everything » which is called the nude.
However Dominique Wildermann does not proceed to a dismantling of bodies. The parts she selects are multi-leased, linked together by a strange harmony and joined by hints of belonging to the same whole, less physical than psychic. The use of photography consists only in extracting revealing fragments of a personality, of grasping the places where life seems to have recurrently imprinted the marks of its journey – a writing of oneself.
This is why, beyond a questioning of the concept of gender to which we are invited by these particular models as much as by their photographic reconfiguration, this series takes us through simple surface effects, in the depth of intimate identity, foreign to the anthropometric capture to which the camera was originally devoted. Identity(ies) ultimately has little to do with the nude, its project is the soul rather than the body and thus contributes to the essentially psychological dimension that Nadar assigned to photography.
Robert PUJADE
PhD in Philosophy, Senior lecturer in aesthetics,
Critic and historian of photography