remnants : les déchets, les restes, les résidus, les ruines
Il aura fallu 20 ans…
…20 ans pour ressortir ces photos et boucler cette histoire.
En 1996, adolescente, je travaille quelques mois dans un hospice, mais je découvre rapidement qu’il s’agit plutôt d’un mouroir. Je décide alors de témoigner pour ces femmes, laissées à l’abandon par leurs familles, et qui décèdent dans l’indifférence la plus totale, y compris celle du personnel soignant. Je ne vois qu’un moyen pour réaliser cela : la photographie.
Mais lors du développement de ma pellicule, le labo photo la raye sur toute la longueur et je la considère inexploitable. Je laisse ces photos de côté pendant 20 ans tout en y pensant souvent, très souvent. Elles me hantent.
Cette frustration de n’avoir pu m’exprimer pleinement me poursuis et ce n’est qu’au bout de tout ce temps que je réalise comme une évidence que ces photographies ne sont pas ratées mais, qu’au contraire, ces visages rayés illustrent concrètement la façon dont nous « rayons » ces personnes de notre société/notre famille.
20 ans plus tard je découvre que la destruction du site de l’hospice et imminente. Je retourne sur les lieux avec les rouleaux de portraits grands formats sous le bras.
Je décide d’aller plus loin afin de questionner les conditions de fin de vie en France. En rehaussant ces écorchures d’un épais trait d’aérosol vert électrique je rappelle la couleur vive de l’électrocardiogramme plat.
L’approche esthétique est brutale comme la décision que nous devons prendre quand nos proches ne sont plus autonomes, que leur corps lâche : les scans des négatifs sont bruts sans retouches, les tirages sont imprimés sur du papier de collage urbain et simplement placardés aux murs, la peinture est appliquée d’un geste sec à l’aérosol à travers la photo comme on tague un message de révolte.
remnant (noun)
In 1996, as a teenager, I got my first job in a nursing home, or rather a “medicalised death row”. I decided to make my first photo shoot: my purpose was to witness these women, cast aside by their families, who pass away in a collective chorus of indifference, including from the medical staff.
But while the pictures were developed, the photo print lab scratched the film on its whole length and I deemed it useless.
During 20 years I thought about the pictures almost every day.
They haunted me.
And it is only after all this time that I realized that these scratched up faces illustrate tangibly the way we “cross out” these people from our society/our family.
I discovered that this nursing home shut down and was soon to be destroyed. I printed the portraits on big formats, took them back to the premises, putting them up on the walls.
I decided to push things further to question the conditions of one’s end of life in France. By emphasizing these scratches with a thick bright green paint stroke I remind the viewer of the bright color of an electrocardiogram on a monitoring screen. The approach is brutal much like the decision one must make when our loved ones our can no longer care for themselves, when their bodies no longer answer: the paint is applied in one swift stroke across the picture, the negative scans without being touched up et the prints are posted on the wall.
Appareil: Canon A-1
Pellicule: Ilford HP5 Plus Black & white